Deux mécanismes de protection et d’accélération des politiques de digitalisation
Par Omar Seghrouchni, Président de la CNDP (Maroc)
Le numérique nous oblige, depuis quelques années, à reconsidérer nos représentations et nos schémas mentaux.
Dès ses premières heures, la crise courante du COVID-19 a fait réémerger tous les débats liés au numérique:
Ah si on avait plus digitalisé … et plus vite…
Ah si on pouvait géolocaliser …
Ah si on pouvait mieux tracer…
Ah si on pouvait mieux identifier …
De toute évidence, oui ! Et mille fois oui ! Mais, il faut se doter d’un certain recul pour se poser les bonnes questions dans les bons contextes.
Il est manifeste que cette crise du COVID-19 constituera un accélérateur de notre réflexion sur le devenir numérique de nos sociétés. Il est évident que nous aurions dû digitaliser plus vite et que nous devons digitaliser encore plus.
Mais la question que doit se poser un décideur responsable, et pas que seulement consommateur de gadgets, est : comment digitaliser très vite tout en préservant les fondamentaux d’un Etat de droit souverain ?
Le débat doit être posé :
Peut-être que la souveraineté est un concept caduc ? Il suffit juste de l’exprimer, de l’argumenter et de l’entériner.
Peut-être que les mécanismes de gouvernance actuels sont à revoir ? Il est primordial d’en étudier les impacts sur les équilibres constitutionnels, économiques, sociétaux et opérationnels.
Peut-être que l’Etat de droit est un concept de luxe pour intellectuels de salons ? Il sera important de le clarifier, de l’expliquer et de l’assumer.
Peut-être que nous sommes aveuglés par des analyses techniques, pas suffisamment stratégiques ? Il faudra se ressaisir …
C’est une tendance mondiale, face à la vélocité vertigineuse des technologies du numérique. Nos sociétés n’ont pas eu le temps d’adapter les paradigmes et les schémas juridiques, et moins encore les contrats sociaux régissant leur quotidien. Ils en sont encore à absorber, en bons consommateurs, friands de nouveautés, les attraits indiscutables des bienfaits technologiques.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit nullement de remettre en cause les bienfaits de la digitalisation, ni de tenter de la ralentir, mais de veiller, autant que possible, à l’installer au sein d’un cadre pouvant éviter à se retrouver devant des situations de rejets de greffe.
Il s’agit d’accélérer et de protéger la digitalisation, et plus que celle-ci, de protéger, dans un objectif d’épanouissement, celles et ceux qui devraient en récolter les bénéfices : les citoyennes et les citoyens.
Nous nous attacherons, ici, à évoquer, de façon non exhaustive, deux concepts :
Le premier est celui de l’identité numérique segmentée défendue, par exemple, par Alan Gelb et Anit Mukherjee.
Le second est celui de la nécessaire mise en place de Plans de Continuité d’Activité Numérique sur le plan Stratégique (des PCANS)
Concernant le concept de l’identité numérique segmentée : Les Objectifs de développement durable, est en particulier l’ODD 16.9, recommande le bénéfice par tout citoyen du monde, à horizon 2030, d’une identité légale.
Cette recommandation est traduite, par quelques commerçants des industries de l’identité, comme la nécessité de disposer d’une identité numérique unique. Et pourtant, cette assertion, véritable conclusion cocotte-minute, risque d’engager le devenir digital de nos sociétés de façon indélicate, en tout cas pas suffisamment réfléchie. L’effet boomerang risque d’être douloureux.
Il semble nécessaire d’organiser nos économies autour du principe d’identifiants sectoriels, qui n’altère en rien les capacités diverses des politiques de ciblage (pour le social, le fisc, la santé, l’éducation, la logistique, etc…). Il serait civil d’éviter la mise en place, techniquement simpliste, d’un identifiant unique public pouvant générer des traumatismes sociétaux et stratégiques non anticipés.
Concernant le concept de la mise en place de Plans de Continuité d’Activité Numérique sur le plan Stratégique (PCANS) : La crise actuelle du COVID-16 nous fait constater douloureusement, que peu d’Etats disposaient de Plan de Continuité d’Activité. Ceci ne diminue en rien l’importance des efforts déployés et la qualité des mesures mises en place.
Cela doit nous faire prendre conscience, aujourd’hui plus qu’hier, de l’importance des Plans de Continuité d’Activité. Que doit-on faire lorsque les outils de gestion mis à notre disposition sont hors service ? Il faut s’y préparer. Il faut anticiper. Quid d’un risque panne d’Internet, d’impossibilité de connexion ?
Ainsi, nous devons veiller, afin de protéger nos choix de digitalisation, à mettre en place, des Plans de Continuité d’Activité en cas, de façon générale, de panne numérique et, de façon particulière, en cas de panne des systèmes d’identification (ce qui est un argument en sus pour mieux apprécier les équilibres ou déséquilibres induits par les identifiants numériques segmentés ou sectoriels d’une part, et les identifiants numériques uniques d’autre part).
La direction à prendre est à définir entre responsables qui sont en mesure de débattre, en dehors de tout dogme ou d’influences commerciales ou lobbyistes, dans une perspective d’efficacité citoyenne, dépassant les approches binaires ou trop techniciennes.
La digitalisation de nos sociétés doit être citoyenne, inclusive, robuste, résiliente et efficiente, et pas que technique.
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