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DE QUEL TYPE D'IDENTITÉ L'AFRIQUE A-T-ELLE BESOIN?

Par Dr. Joseph J. Atick, PDG, ID4Africa et Mory Camara, Président, Conseil ID4Africa pour l’identité (CII), Directeur Général, ANGEIE, Guinée



L’AFRIQUE A BESOIN D’UNE IDENTITÉ AXÉE SUR LE SERVICE (SOI)


La question de l’identité et de l’identification est devenue, de nos jours, une préoccupation majeure dans le monde entier à plusieurs niveaux. C’est un problème pour les gouvernements qui continuent de croire qu’il leur incombe de gérer officiellement l’identité de leurs populations. C’est une exigence croissante pour les personnes qui en ont besoin afin de naviguer dans une société devenue de plus en plus centrée sur l’identité, pour des raisons de sécurité et pour faciliter les interactions entre les secteurs public et privé. Elle occupe une place prépondérante dans les calendriers de la communauté internationale du développement qui s’efforce d’en faire un droit, en la finançant et en l’utilisant comme catalyseur du développement. Elle continue même d’attirer l’attention des innovateurs qui voient dans l’identité, leur fortune ou la possibilité de créer de nouveaux paradigmes pour la gouvernance des données et du numérique, tels que l’identité décentralisée et autonome.


Avec une attention si diverse portée sur ce sujet singulier, il n’est pas surprenant qu’une myriade de notions sur l’identité ait émergé. Cette prolifération est source de confusion, quant aux priorités, pour ceux responsables de fournir l’identité. La confusion est exacerbée du fait de la transformation numérique de la société qui est en cours et qui exige que, peu importe la notion adoptée, il soit prioritaire qu’elle conduise à une identité pouvant coexister dans les mondes numérique et physique.


Avant d’aller plus loin, nous voudrions dissuader le lecteur de penser qu’il existe une réponse unique à la question de savoir quelle notion d’identité devrait prévaloir dans le monde. La réponse varie, bien sûr, selon le contexte, en particulier lorsque l’on examine l’état de développement de chaque pays ou région et ses besoins. Ainsi, nous appelons les lecteurs à ne pas prendre notre réponse dans ce blog hors de son contexte. Nous tenons plutôt à souligner que notre réponse est fondée sur ce que les autorités gouvernementales africaines participant à la Réunion Annuelle ID4Africa 2019 ont dit au sujet du type de systèmes d’identité qu’elles souhaitent développer et de l’aide qu’elles recherchent de la communauté internationale, notamment d’ID4Africa. Nous avons rencontré de nombreuses délégations de pays soucieuses de moderniser leurs écosystèmes d’identité nationale et ce qu’elles recherchent est tout à fait cohérent avec ce que l’un de nous peut corroborer grâce à ses connaissances directes de première main en Guinée - un pays qui se lance dans la mise en œuvre de ce dont ce blog est le sujet.


D’après ce que nous avons entendu, le message devrait être clair: la priorité aujourd’hui en Afrique est d’établir ce que l’on pourrait appeler une Identité axée sur le service, ou Service-oriented Identity (SOI) en anglais. Ce sont des schémas identitaires qui permettent à leurs populations de participer au développement économique en leur donnant accès à la gamme de services la plus large possible.


Dans les lignes qui suivent, nous allons développer davantage ce concept en creusant la question de savoir comment un gouvernement peut parvenir à une plateforme fondée sur les SOI.


QU’EST-CE QU’UNE SOI?


La SOI est une forme d’identité de base prête à prendre en charge tous les services pouvant bénéficier d’une identification. De manière générale, pour transformer un référentiel d’identité (tel qu’un registre national de la population, dit RNP, ou un registre de l’état civil) en un système SOI, les ingrédients suivants doivent converger:


Identité axée sur le service (SOI) = RNP + Authentification


Sous réserve des conditions suivantes:


  • La SOI doit être unique et chaque enregistrement doit donc être attribué à un numéro de service unique.

  • Idéalement, l’authentification peut être construite en tant que services en ligne avec une API publiée (interface de programmation) permettant à tout tiers autorisé d’authentifier l’identité.


Alors qu’unicité et authentification supposent naturellement un paramètre biométrique et que, par conséquent, la SOI repose généralement sur la biométrie, elle n’est pas indispensable tant que d’autres mécanismes pratiques et efficaces sont déjà en place pouvant réaliser la déduplication et l’authentification. En outre, il va sans dire qu’une SOI viable réalise l’inclusion totale, est robuste et peut entraîner des coûts de transaction faibles, dans l’objectif d’assurer sa durabilité. Nous laisserons les détails des bonnes pratiques pour une autre fois, afin de pouvoir nous concentrer ici sur l’essentiel de la SOI et ses implications.


EXEMPLES DE SOI


Il existe plusieurs excellents exemples de SOI en cours de développement ou pleinement opérationnels dans le monde. Ceux-ci incluent:


  • Kenya: le Système national de gestion de l’identité intégrée (en anglais National Integrated Identity Management System, ou NIIMS) est parvenu au recrutement de plus de 37 millions de personnes et est en train de les associer à une identité unique appelée Huduma Namba (« numéro de service » en kiswahili). On s’attend à ce que plus de 300 services électroniques soient reliés à cette plateforme.

  • Nigéria: la Commission de gestion de l’identité nationale (NIMC) développe un écosystème dans lequel toute population de plus de 210 millions d’habitants sera enregistrée et se verra attribuer un numéro d’identité national (NIN), dans l’espoir qu’un nombre croissant de services seront liés au NIN au fil du temps. Déjà plus d’une douzaine de services sont liés au NIN et près de 37 millions de personnes en ont un.

  • India: Aadhaar, et plus particulièrement IndiaStack, peut être considéré comme la mère de toutes les SOI. L’Inde est déjà parvenue à un point où presque chaque personne physique est associée à un numéro unique Aadhaar à 12 chiffres, et où des centaines de services sont déjà en lice pour des transactions sans présence, sans espèces et sans papier.


Tous ces systèmes partagent plusieurs caractéristiques: ils sont tous activés biométriquement, ils contiennent des quantités relativement minimes de champs de données et se concentrent de manière pragmatique sur des fonctions d’identification essentielles, sans exiger ou dépendre d’un lien avec l’enregistrement civil ou d’autres systèmes d’identification plus traditionnels. Essentiellement, ils se concentrent sur la question de savoir qui vous êtes, au lieu de s’embourber dans des questions secondaires, à savoir à quoi avezvous droit et à quels avantages pouvez-vous prétendre. Ils n’ont pas à essayer de changer les systèmes ou les approches existants, ni les défis associés.


POURQUOI L’AFRIQUE S’INTÉRESSE-T-ELLE À LA SOI?


Une SOI est une forme de « bonne identité », ce qui est utile. Elle responsabilise les actions des gens au lieu de simplement reconnaître leurs droits fondamentaux. C’est un ingrédient essentiel du développement économique numérique, en particulier si les API d’authentification sont ouvertes au secteur privé, dans des domaines tels que banques, télécommunications, assurances, voyages, santé et éducation. Les SOI peuvent être utilisées pour fournir des services électroniques, améliorer l’inclusion sociale, améliorer la gouvernance et l’efficacité du gouvernement, stimuler les innovations et la croissance économique, ce qui fin de compte, pourrait s’agir tout simplement de la clé pour sortir les gens de la pauvreté.


Compte tenu de ce potentiel, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la SOI est une priorité pour les pays africains.


La SOI jouera un rôle encore plus crucial dans le contexte de l’intégration économique régionale et mondiale, un sujet qui a pris de l’importance récemment avec la signature de l’accord historique concernant la Zone de libre-échange continentale africaine (African Continental Free Trade Agreement en anglais, ou AfCFTA) le 7 juillet 2019, qui ouvre la voie à la plus grande zone de libre-échange au monde. Dans ce cas, un nouvel ingrédient devrait être développé:


SOI régionale = RNP + Authentication + Cadre de confiance pour la reconnaissance mutuelle des SOI nationales


Le Cadre ajouté est nécessaire pour l’interopérabilité de la confiance afin que l’authentification puisse être effectuée et que l’attestation d’identité puisse être fiable en dehors du pays d’origine. C’est un ingrédient essentiel de l’intégration économique. Le Cadre de confiance pancanadien (Pan-Canadian Trust Framework en anglais, ou PCTF” ) pour l’identité, qui constitue une étape importante pour l’écosystème canadien de l’identité numérique, est un exemple de ces cadres. Le Règlement européen eIDAS en est un autre. Les deux sont des piliers dans les tentatives de construction de zones économiques basées sur une identité et des normes de confiance solides.


IMPORTANCE DES SOI


Une SOI est un moteur économique et devrait donc être mise en place dans le cadre d’un plan global de développement économique ou de relance avec un retour sur investissement clairement défini. Lors d’entretiens que nous avons eus avec de nombreuses délégations participant à ID4Africa 2019, les autorités ont vu dans la SOI l’opportunité d’engager le secteur privé dans une participation financière de manière à soutenir leurs plateformes d’identité. Des secteurs tels que les télécommunications et la banque pourraient être de très bons partenaires car ils pourraient tirer parti de systèmes d’identité robustes et performants, qui les aideraient à améliorer leur connaissance de leurs clients, à gérer les risques liés à l’identité et la fraude, et à créer de nouveaux services susceptibles de générer des revenus. En résumé, la SOI peut réduire le risque financier lié à l’investissement requis pour établir un système d’identité, ce qui rend leur lancement plus attractif. Les projets pourraient être conçus de telle sorte qu’ils n’auraient besoin que d’un financement de démarrage pour atteindre le point où ils apporteraient une valeur économique durable à l’écosystème.


QU’EN EST-IL DE L’IDENTITÉ JURIDIQUE?


Alors, comment devrions-nous interpréter la ruée vers SOI? Cela signifie-t-il que l’identité juridique n’est pas importante? La notion d’identité juridique est devenue une notion essentielle il y a environ cinq ans, en liaison avec les discussions sur les Objectifs de développement durable et en particulier avec l’ODD 16.9, qui appelle à « fournir une identité juridique pour tous, y compris l’enregistrement des naissances d’ici 2030 ». Cela pourrait être interprété comme liant l’identité à un système d’enregistrement civil qui fonctionne bien.


Bien que cette notion d’identité soit importante du point de vue des droits, ce n’est PAS la priorité pour beaucoup de nations africaines à l’heure actuelle. La raison en est pragmatique et est liée aux conséquences que peut avoir la SOI par rapport à l’identité juridique sur les principaux problèmes structurels en Afrique, notamment la stagnation économique et la pauvreté. Ils voient dans la SOI la possibilité d’un impact tangible et d’un retour rapide sur investissement qui peuvent être utilisés pour financer des réformes plus larges de leurs écosystèmes identitaires, y compris l’enregistrement civil.


Par conséquent, il s’agit peut-être d’un problème de séquençage. Ceux avec qui nous en avons parlé nous ont assuré que le lien entre la SOI et l’identité juridique, et de ce fait l’enregistrement de l’état civil, est inévitable, se réalisera donc avec le temps car il est nécessaire de donner à SOI sa robustesse et sa légitimité juridique. Ils soutiennent qu’en fin de compte, tous les aspects de l’identité doivent être régularisés et mis aux normes mondiales dans le cadre du cycle de la vie, de la naissance à la mort. Mais cela ne signifie pas que la voie du développement de l’identité doit suivre le cycle de vie de l’identité à court terme. C’est une question de priorités, de budgets et de temps. L’Afrique craint de rater la quatrième révolution industrielle (4RI) si elle n’est pas en mesure de développer les piliers nécessaires au bon moment, même si elle peut reconnaître le droit de son peuple à l’identité. Ils ont la possibilité de passer outre certaines étapes par rapport à la trajectoire identitaire empruntée par les pays de l’OCDE.


ASSURER UNE SOI RESPONSABLE


La SOI est une notion qui considère l’identité non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen d’ouvrir la porte au monde du service et de l’autonomisation économique. C’est une identité qui permet aux gens de faire plus et d’être inclus dans la société. En raison de son pouvoir, il est important de reconnaître les dangers des abus et donc de veiller à ce que cela se fasse dans un contexte responsable. Cet enjeu s’est hissé au premier plan d’ID4Africa 2019 et témoigne d’une maturation dans l’attitude des autorités de l’identité, qui cherchent à mettre en place des plates-formes responsables, pouvant gagner la confiance de leurs populations, pouvant avoir un impact réel dès le premier jour et être économiquement viables.


En tant que tel, il est convenu que la protection des données, la confidentialité et le respect des droits de l’homme devraient être au cœur de toute initiative visant à développer des SOI. Nous avons également constaté un intérêt pour les cadres de confiance panafricains, qui ont pour ambition de répondre à la confidentialité transfrontalière et la protection des données, même lorsque les normes juridiques en matière de protection des données ne sont pas encore harmonisées d’un bout à l’autre du continent.


Enfin, il faut se demander si la SOI devrait être rendue obligatoire. Nous exhortons les autorités à proposer des SOI dans des cadres de consentement qui respectent les souhaits de leurs populations d’adhérer ou pas à de tels systèmes d’identification qui peuvent apporter une valeur ajoutée et simplifier leur vie.

BONNES RAISONS D’ETRE OPTIMISTE


ID4Africa 2019 a été un événement marquant à plusieurs niveaux de haute importance, en particulier la clarté qui s’est dégagée autour des SOI et l’engagement en faveur d’une adoption responsable de l’identité numérique à travers la confidentialité et la protection des données. Le dialogue a atteint une certaine maturité, passant de la question de savoir quoi faire en priorité, à celle de savoir comment le faire. Il y régna un climat de compétence, d’engagement et de confiance, et l’esprit Afrique d’abord était présent - une réaffirmation de la focalisation sur les priorités telles qu’elles sont perçues par les pays africains. Chez ID4Africa et au CII - la nouvelle institution panafricaine représentant les 43 ambassadeurs - nous travaillerons avec nos partenaires de la communauté internationale et avec nos mandants - les acteurs de l’identité africaine - pour aider à répondre à cette demande, conformément aux priorités énoncées.


L’EXPÉRIENCE GUINÉENNE


Pourquoi une SOI en Guinée?


L’Agence nationale d’inclusion économique et sociale (ANIES) est une grande première en Afrique de l’Ouest. L’ANIES utilisera l’identité numérique pour fournir des services aux populations les plus vulnérables de Guinée. Elle contribuera grandement à l’évolution du dynamisme économique de la Guinée, qui s’est collectivement améliorée si l’on considère l’évolution du produit intérieur brut (PIB), d’autant plus que la majorité de la population guinéenne se trouve en grande partie dans une situation d’extrême pauvreté (moins de 1 dollar et 25 centimes par jour). ANIES sera un puissant vecteur de redistribution des fruits de la prospérité économique.


What is the purpose of SOI in Guinea?


  • Apporter une contribution financière d’au moins 2% du PIB d’ici à la fin de 2020 en faveur du partage de la prospérité, conformément aux recommandations du groupe d’évaluation des progrès pour l’Afrique (Africa Progress Panel);

  • Atteindre dans les cinq ans l’objectif de 4% du PIB, orienté vers 40% de la population la plus pauvre (« 40% bottom », comme l’a recommandé la Banque mondiale dans son objectif de partage de la prospérité, dit de « prospérité partagée »);

  • Réduire la pauvreté à moyen terme, qui touche actuellement près de 60% de la population (65% en milieu rural);

  • Promouvoir l’inclusion financière, qui atteint à peine 3%, en permettant à au moins 40% de la population d’avoir accès à des services financiers de base.


Comment la Guinée va-t-elle mettre en place une SOI?


  • La première phase, d’août à octobre 2019, mettra l’accent sur l’enregistrement et l’inscription biométrique des personnes vivant dans l’extrême pauvreté (environ 40% de la population).

  • La deuxième phase aura une dimension expérimentale, se déroulera d’octobre à décembre 2019 et sera centrée sur quatre préfectures, se concentrant sur des territoires cibles (une par région naturelle).

  • La troisième phase consistera en la généralisation de la phase pilote au reste du pays à partir de début 2020.

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